France-Afrique : l’impossible rupture du « pacte colonial »

05.11.2021 - Éditorial

La politique africaine de la France est un vieux vêtement rapiécé. Depuis Nicolas Sarkozy, chaque locataire de l’Elysée entend nettoyer cette relation de fonds en comble pour, au final, s’en réapproprier les grands fondamentaux. Aux désirs de modernité affichés à chaque début de mandat succède immanquablement la fatalité du renoncement, donc de l’immobilisme.

Emmanuel Macron ne fait pas exception à la règle. Le sommet Afrique-France organisé le 8 octobre à Montpellier en apporte l’illustration. Cette rencontre voulue novatrice, sans chefs d’Etat, mais en présence d’artistes, d’entrepreneurs et de responsables de la société civile, a adopté le même format et les mêmes thématiques que le discours prononcé par le président français à Ouagadougou, en novembre 2017, devant les étudiants burkinabés. Convoquer à quatre ans d’intervalle deux rencontres similaires avec « la jeunesse africaine » situe l’échec de la volonté macronnienne de rafraîchir la relation bilatérale et de la placer sur de nouveaux rails.

Le début de quinquennat n’avait d’ailleurs pas fait illusion, qui a été marqué par le côté fixiste de cette relation malgré un désir d’aggiornamento au sud du Sahara. Empruntant les orientations de ses prédécesseurs, le nouveau président français crut, en effet, inopportun d’engager une réflexion globale sur le dispositif militaire – unique en son genre – (Opex, bases prépositionnées, accords de coopération…) de la France en Afrique. Il s’est même rendu au Mali au lendemain de sa victoire pour saluer les soldats de l’opération Barkhane.

S’éloignant des discours centrés sur la démocratie et l’Etat de droit, il adouba d’emblée des régimes peu vertueux sur ces questions (Gabon, Rwanda, Congo-Brazzaville, Djibouti, Guinée…). En 2019 au Tchad, il n’hésita pas non plus à sauver le régime d’Idriss Deby Itno de la énième menace d’une rébellion en mobilisant plusieurs Mirages de cette Opex de lutte antiterroriste aux contours flous. Autre trait de cette continuité malgré une meilleure intrusion du Parlement, notamment sur les questions liées à l’Aide publique au développement (APD), les dossiers africains sont demeurés, ces dernières années, « le domaine réservé du domaine réservé » présidentiel, les députés ayant toujours aussi peu voix au chapitre. Enfin, du point de vue discursif, Paris n’a pas rompu avec une parole jugée paternaliste voire condescendante. Un sentiment largement partagé par ses partenaires. La convocation des chefs d’Etat membres du G5 Sahel à Pau, en janvier 2020, pour obtenir leur part une « clarification » quant à la présence française au Sahel n’est qu’une des multiples illustrations de cette posture.

Pourquoi cette permanence de la doxa française au-delà des mandats, des couleurs politiques ou de la psychologie de chaque mandataire élyséen ? Parce que le lien entre la France et les capitales sub-sahariennes ne saurait se borner à une relation bilatérale ordinaire. Il s’inscrit dans une dimension géopolitique et géostratégique bien plus large qu’aucun président ne peut ignorer. Bien qu’il ne représente que 3% de ses échanges commerciaux, le continent africain forge, en effet, depuis deux siècles le statut de « plus grande des puissances moyennes » de l’Hexagone. Outre de constituer une clientèle politique utile aux Nations Unies, les pays de l’ancien « pré carré » lui renvoient en miroir son aura de puissance internationale et maritime. Lui retirer cette dimension et la France se limiterait ipso facto à ses frontières, se transformant en un Etat sans envergure, ni ambition au même titre que la Pologne ou le Luxembourg. Ainsi la politique française en Afrique continue, comme depuis plusieurs décennies, de se situer dans ce jeu aux équilibres fragiles consistant à tenter de préserver une zone d’influence en pleine recomposition face à la montée des périls et des puissances concurrentes tout en s’imposant une prise de distance d’avec ce « bloc » historique pour éviter de subir frontalement les multiples crises qui s’y jouent. Les cas malien et centrafricain sont, sur ce point, exemplaires.

De fait, Emmanuel Macron s’est trouvé en incapacité de modifier en profondeur l’ADN franco-africain préférant aux incertitudes d’un virage brutal un soutien plus net à des régimes « forts » dont Paris ne peut se passer pour la défense de ses intérêts. Le Tchad est symptomatique de cette approche. En se précipitant aux obsèques d’Idriss Déby Itno, en avril dernier, le chef de l’Etat français a du même coup, par sa seule présence, validé le putsch constitutionnel de son fils, Mahamat Idriss Déby.

A force de s’imposer, cette distorsion entre les conduites anachroniques en écho à un narratif plus volontariste sur les libertés a fait naître la défiance des populations africaines. Alors que ces dernières avaient placé dans ce président jeune un espoir immense d’en finir avec une relation incestueuse, l’absence d’évolution a fait naître un sentiment de frustration rarement atteint chez les jeunes tout comme chez nombre d’esprits « décoloniaux », en France. Malheureusement, l’ouverture vers les « autres Afriques » voulue par Emmanuel Macron pour contourner les difficultés d’un face-à-face pesant avec les ex-colonies francophones n’a pas porté ses fruits. Malgré des soubresauts de rapprochement avec le Ghana, l’Angola ou le Kenya, Paris n’est pas attendu dans ces pays où il ne dispose pas des réseaux et du même entregent que dans les pays francophones. Quant à l’accord de défense signé en mars 2019 avec l’Ethiopie à l’occasion de la visite d’Emmanuel Macron à Addis-Abeba, il s’est abîmé sur les massacres de masse perpétrés dans la province du Tigré.

Face à l’ensemble de ces forces d’inertie, que reste-t-il ? Le symbolique. Ce dernier s’est déplacé sur les questions mémorielles (esclavagisme, colonisation…) dont les Africains d’Afrique n’ont finalement que faire, ces derniers, empêtrés dans un quotidien incertain, étant surtout portés sur la politique migratoire ou celle des visas de la France. Symbolique encore avec l’ouverture timide d’archives comme celle de la période coloniale au Cameroun ou concernant les relations franco-burkinabè sous la période sankariste (1983-1987). Or les trois lots livrés sur cette dernière période ne contiennent aucune archive de François Mitterrand, ni de Jacques Chirac. Symbole encore concernant la réforme du franc CFA. Celle-ci reste inachevée, la France maintenant deux leviers essentiels de son attachement que sont sa garantie et l’arrimage de cette monnaie à l’euro. Quant à la restitution d’œuvres d’art, elles ne concernent qu’une trentaine de pièces au moment même où la Belgique a décidé d’en rendre plus de 40.000 à la République démocratique du Congo (RDC, ancien Congo-Belge). De sorte que cette restitution s’apparente davantage à une opération de communication politique.

De fait, le verni des symboles, des mots et des approches ne doit pas cacher la réalité. Sur le fond, les timides évolutions du « pacte colonial » observées sous le mandat Macron ont irrémédiablement buté sur les résistances alimentées par la dimension historique de la relation bilatérale dont les stigmates demeurent toujours aussi vivaces.

Frédéric Lejeal
Politologue de formation, spécialiste de l’Afrique depuis vingt-cinq ans, Frédéric LEJEAL a accompli sa carrière en tant que journaliste notamment comme rédacteur en Chef de La Lettre du Continent, publication bilingue confidentielle sur l’Afrique de l’Ouest et les réseaux d’affaires dans le Golfe de Guinée. Proche de Jean Audibert, ancien conseiller Afrique de François Mitterrand, il a vécu quatre ans sur ce continent, et a parcouru une trentaine de pays. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont "Le Burkina Faso" paru aux éditions Karthala.