3 novembre 2020 : les élections les plus incertaines de l’histoire des États-Unis

11.09.2020 - Éditorial

Le 3 novembre, les Américains éliront leur Président, mais aussi les 435 membres de la Chambre des représentants, 35 des 100 sénateurs, 13 des 50 gouverneurs et des milliers d’élus locaux. Tout indique que cela se passera mal. Le président Trump est prêt à tout pour l’emporter alors que les sondages annoncent sa défaite : au niveau national, Biden maintient une avance de 7 points.

Mais surtout, dans les États clés qui décideront lequel des deux obtiendra les 270 grands électeurs nécessaires pour être élu président (Floride, Michigan, Wisconsin, Pennsylvanie notamment), Biden maintient une avance d’environ 5 points. Pourtant, Trump pense qu’il peut encore gagner, comme ce fut le cas il y a quatre ans face à Hillary Clinton que tous les sondages donnaient gagnante. Elle obtint bien 3 millions de voix de plus que Trump au niveau national, mais elle perdit (de très peu) les quatre « swing states » décisifs qui donnèrent la majorité des grands électeurs à Trump. Cette année, le grand handicap de Trump est sa gestion catastrophique de la crise du Covid : les Etats-Unis représentent 4% de la population mondiale mais ont eu à ce jour 20% du total mondial des décès. D’où sa volonté de changer le narratif de la campagne en plaçant au premier plan l’insécurité : de façon cynique, il utilise les émeutes provoquées dans la population noire par plusieurs bavures policières graves pour tenter de mobiliser son électorat à travers ses « tweets » suivis par 80 millions de « followers » qui font davantage confiance à ses « vérités alternatives » qu’aux informations du New York Times.

Et cela marche : les ventes d’armes aux États-Unis ont explosé ces dernières semaines. Plus choquante encore : la stratégie de Trump concernant les votes par correspondance. Selon les sondages, les électeurs qui prévoient de voter par correspondance sont deux fois plus nombreux parmi les Démocrates que parmi les Républicains. Et cette année, du fait du Covid, le nombre de votes par correspondance devrait être deux fois plus élevé que par le passé. D’où la campagne de Trump dénonçant par avance les votes par correspondance comme « frauduleux ». Pire encore, il fait tout pour que la Poste marche mal : il a nommé à sa tête un de ses proches avec pour mission d’en réduire les déficits en fermant de nombreux bureaux, au point que la Chambre des Représentants à majorité démocrate a voté dans l’urgence 25 milliards de dollars de soutien à la Poste, une proposition bloquée par le Sénat à majorité républicaine. Sauf en cas d’improbable raz de marée en faveur de Biden, il faut donc s’attendre à de longues batailles avant de connaître le résultat final. Si l’on prend en exemple la Floride, rappelons qu’en 2018, pour l’élection du gouverneur et de l’un des deux sénateurs, les Républicains arrivèrent en tête du dépouillement jusqu’à ce que, dans les jours suivants le scrutin, le dépouillement des votes par correspondance réduise nettement l’avance républicaine, conduisant Trump à twitter que ces votes « ne venaient de nulle part » et ne devaient pas être comptabilisés. Aujourd’hui, c’est sans doute l’élection présidentielle de 2000, que j’ai vécue sur place et qui opposait Bush à Gore, qui est la référence la plus pertinente et la plus inquiétante. Le dépouillement national fit apparaître que la Floride allait permettre au vainqueur d’atteindre de justesse le seuil fatidique des 270 grands électeurs.

Bush y arrivait en tête de quelques milliers de voix et Gore l’appela vers minuit pour lui concéder la victoire. Mais à 3 heures du matin, Gore le rappela pour lui annoncer qu’il contestait désormais le résultat : l’avance de Bush n’était plus que de 327 votes sur un total de 6 millions. Les tribunaux de Floride furent saisis pour recompter les votes dans certains comtés et nous suivions jour après jour à la télévision le feuilleton des batailles d’avocats sur la validité des bulletins contestés. Fin novembre, la Cour Suprême de Floride, par 4 voix contre 3, exigea un nouveau recomptage manuel de 45 000 bulletins qui réduisit à seulement 154 votes l’avance de Bush. Celui-ci fit appel à la Cour Suprême des États-Unis, qui le déclara vainqueur par 5 voix contre 4, le 18 décembre, alors que Gore avait obtenu 500 000 voix de plus que Bush au niveau national. Ce résultat fut accepté avec élégance par Gore et le pays tout entier célébra les mérites de la démocratie américaine. Cette année, ce ne sera pas le cas. Trump a pris le contrôle total du parti Républicain grâce à ses tweets. Il restera pleinement le Président des États-Unis jusqu’au jour de la passation des pouvoirs, le 20 janvier 2021 et il utilisera tous les moyens à sa disposition pour que l’issue du scrutin lui permette de rester quatre ans de plus à la Maison Blanche. En dehors du cas peu probable d’une victoire massive et donc incontestable de Biden, il faut bien s’attendre à des lendemains d’élection fort difficiles pour la démocratie américaine. Plusieurs scénarios de manipulation de l’élection sont considérés comme possibles. Le plus souvent mentionné : Trump proclamerait très rapidement sa victoire dans la nuit du 3 au 4, dénoncerait les votes par correspondance comme frauduleux et demanderait aux élus républicains des États clés de bloquer les bureaux de vote pour empêcher leur prise en compte.

Les Démocrates multiplieraient bien sûr les recours, dans un climat de tensions extrêmes. Scénario du pire : le 6 janvier, lorsque le Congrès se réunira pour entériner la liste des grands électeurs, le Sénat à majorité républicaine confirmerait la liste républicaine, tandis que la Chambre des Représentants à majorité démocrate approuverait une liste alternative. Dans ce cas, aucun Président ne pourrait être élu et prendre ses fonctions le 20 janvier. En ces temps de contestation des règles démocratiques par les dirigeants «illibéraux» d’Europe et d’affirmation des « empereurs » chinois, russe ou turc, le modèle américain va subir un test décisif, qui aura un impact bien au-delà des frontières des États-Unis et pèsera sur l’évolution du monde au cours des quatre prochaines années. J’y reviendrai dans un second article.

Jean-David Levitte
Jean-David Levitte est senior policy advisor pour le groupe ESL Network. Il a eu une carrière diplomatique remarquable, marquée dans un premier temps par un passage à l’Elysée aux côtés du Président Giscard d’Estaing de 1975 à 1981. De 1995 à 2000, il a été le Conseiller diplomatique et Sherpa du Président Jacques Chirac. Entre temps, il a notamment occupé les fonctions d’Ambassadeur de la France aux Nations Unies à Genève. De 2007 à 2012 il a été le conseiller diplomatique et Sherpa du Président Nicolas Sarkozy. De 2003 à 2007 il a été Ambassadeur à Washington pendant la difficile période de la guerre en Irak. De 2000 à 2002 il a été Ambassadeur à l’ONU à New York, présidant le Conseil de Sécurité lors des attaques du 11 septembre 2001.